Au départ, certains ne croyaient pas que l’Insondable représente un sérieux danger, du moins pas pour eux. Mais il entraînait dans son sillage un fléau que j’ai vu infecter pratiquement chaque partie de ce pays. Les armées sont impuissantes face à lui. De grandes cités sont terrassées par son pouvoir. Les récoltes meurent et la terre aussi.

Telle est la créature que je combats. Tel est le monstre que je dois vaincre. Je crains d’avoir trop tardé. La destruction s’est déjà tant répandue que je crains pour la survie de l’humanité.

Est-ce vraiment la fin du monde, comme le prédisent tant de philosophes ?

 

22

 

Nous sommes arrivés à Terris en début de semaine, lut Vin, et je dois dire que je trouve le paysage magnifique. Les montagnes imposantes, au nord – avec leurs cimes chauves coiffées de neige et leurs manteaux de forêts – dominent tels des dieux vigilants cette terre de verte fertilité. Ma propre terre, au sud, est presque entièrement plate je crois qu’elle paraîtrait moins morne avec quelques montagnes pour égayer le décor.

Les gens d’ici sont principalement gardiens de troupeaux – quoique les fermiers et bûcherons ne soient pas rares. C’est une région essentiellement champêtre, sans aucun doute. Il paraît curieux qu’un endroit si remarquablement agraire puisse avoir produit les prophéties et théologies sur lesquelles se repose désormais le monde entier.

Nous avons choisi un groupe de porteurs terrisiens pour nous guider à travers les passages difficiles à travers les montagnes. Mais ce ne sont pas là des hommes ordinaires. Il semblerait que les histoires disent vraies : les Terrisiens possèdent un don remarquable et des plus intrigants.

Ils sont capables d’emmagasiner leur force afin de l’utiliser le lendemain. Le soir, avant de s’endormir, ils passent une heure étendus sur leur tapis de couchage, au cours de laquelle ils deviennent extrêmement fragiles en apparence – presque comme s’ils avaient vieilli d’un demi-siècle. Et pourtant, lorsqu’ils se réveillent le lendemain, ils possèdent une musculature très développée. Apparemment, leurs pouvoirs sont liés aux bracelets et aux boucles d’oreilles de fer qu’ils portent constamment.

Le chef des porteurs se nomme Rashek, un individu assez taciturne. Néanmoins, Braches – toujours aussi curieux – a promis de l’interroger dans l’espoir de découvrir exactement comment fonctionne ce formidable processus.

Demain, nous entreprendrons la dernière étape de notre pèlerinage – les Montagnes Lointaines de Terris. C’est là que j’espère trouver la paix – pour moi-même aussi bien que pour notre pauvre pays.

 

À la lecture de son exemplaire du journal, Vin avait rapidement fait plusieurs constatations. La première était l’opinion claire et nette qu’elle n’aimait vraiment pas lire. Sazed n’écoutait pas ses lamentations ; il affirmait simplement qu’elle ne s’était pas assez entraînée. Ne voyait-il donc pas que la lecture était loin d’être un talent aussi pratique que l’allomancie ou l’art de manier une dague ?

Malgré tout, elle continuait à lire selon ses ordres – ne serait-ce que pour lui prouver en toute obstination qu’elle en était capable. Beaucoup de mots dans ce journal étaient difficiles pour elle, et elle devait s’isoler dans une partie déserte du manoir de Renoux afin de pouvoir lire tout haut, s’efforçant de déchiffrer le style très curieux du Seigneur Maître.

Sa lecture la conduisit à sa deuxième conclusion le Seigneur Maître était bien plus pleurnichard qu’un dieu ne devrait avoir droit de l’être. Quand les pages du journal n’étaient pas remplies de notes assommantes sur ses voyages, elles étaient bourrées de méditations internes ou de longues divagations moralisatrices. Vin commençait même à regretter d’avoir trouvé ce livre.

Avec un soupir, elle se laissa aller en arrière dans son fauteuil d’osier. Une fraîche brise printanière souffla à travers les jardins inférieurs, au-dessus du petit cours d’eau sur sa gauche. L’air était d’une agréable humidité et les arbres l’abritaient du soleil de l’après-midi. Être une noble, même factice, offrait des avantages non négligeables.

Elle entendit derrière elle des pas étouffés. Ils étaient lointains, mais Vin avait pris l’habitude de brûler un peu d’étain en permanence. Elle se retourna, jetant un coup d’œil discret par-dessus son épaule.

— Spectre ? lança-t-elle, surprise, tandis que le jeune Lestibournes descendait le sentier du jardin. Qu’est-ce que tu fais ici ?

Spectre s’immobilisa et rougit.

— J’étions ’vec Dox et n’y pas dit qu’à venir.

— Dockson ? s’exclama Vin. Il est ici aussi ?

Peut-être qu’il a des nouvelles de Kelsier !

Spectre hocha la tête et approcha d’elle.

— On étions pour les armes, pis les donner qu’à n’un temps.

Vin hésita.

— Là, je ne te suis plus.

— On devait déposer d’autres armes, dit Spectre en s’efforçant d’abandonner son dialecte. On les entreposait ici un moment.

— Ah, répondit Vin qui se leva et lissa sa robe. Je ferais mieux d’aller le voir.

Spectre parut soudain inquiet, rougit de nouveau, et Vin pencha la tête.

— Il y avait autre chose ?

Avec un mouvement brusque, Spectre plongea la main dans son gilet et en tira quelque chose. Vin attisa son potin en réponse, mais l’objet n’était qu’un mouchoir rose et blanc. Spectre le lui jeta.

Vin le prit, hésitante.

— À quoi ça sert ?

Spectre rougit de nouveau, puis se détourna et fila.

Vin le regarda s’éloigner, abasourdie. Elle baissa les yeux vers le mouchoir. Il était fait d’une fine dentelle, mais ne paraissait rien avoir d’inhabituel.

Quel étrange garçon, se dit-elle en fourrant le mouchoir dans sa manche. Elle reprit son exemplaire du journal, puis entreprit de remonter le sentier. Elle s’était tellement habituée à porter une robe qu’elle devait à peine faire attention pour empêcher les couches inférieures de la robe de frôler les broussailles ou les pierres.

J’imagine que c’est en soi un talent précieux, se dit-elle alors qu’elle atteignait l’entrée du jardin sans avoir accroché sa robe à la moindre branche. Elle ouvrit la porte vitrée et arrêta le premier serviteur qu’elle croisa.

— Maître Delton est-il arrivé ? demanda-t-elle en employant le faux nom de Dockson.

Il jouait le rôle de l’un des marchands avec lesquels traitait Renoux à Luthadel.

— Oui, milady, répondit le serviteur. Il est en entretien avec lord Renoux.

Vin laissa repartir le serviteur. Elle pouvait sans doute s’inviter de force à l’entretien, mais ça ferait mauvaise impression. Lady Valette n’avait aucune raison d’assister à une réunion commerciale entre Renoux et Delton.

Vin se mordilla la lèvre inférieure, pensive. Sazed lui répétait constamment qu’elle devait sauver les apparences. Très bien, se dit-elle, je vais attendre. Peut-être que Sazed pourra me dire ce que ce jeune cinglé veut que je fasse de son mouchoir.

Elle se rendit dans la bibliothèque supérieure, affichant un sourire chaleureux et distingué, s’efforçant de deviner de quoi parlaient Renoux et Dockson. La livraison des armes n’était qu’un prétexte ; Dockson ne se serait pas déplacé en personne pour une tâche aussi banale. Peut-être Kelsier avait-il été retardé. À moins que Dockson n’ait enfin reçu une communication de Marsh – le frère de Kelsier ainsi que les autres nouveaux obligateurs initiés devaient bientôt atteindre Luthadel.

Dockson et Renoux auraient pu m’envoyer chercher, se dit-elle, contrariée. Valette distrayait souvent les invités en compagnie de son oncle.

Elle secoua la tête. Bien que Kelsier l’ait nommée membre de la bande à part entière, les autres la considéraient manifestement toujours comme une enfant. Ils se montraient amicaux et acceptaient sa présence, mais ne pensaient jamais à l’inclure dans leurs activités. Ce n’était sans doute pas intentionnel, mais ça ne rendait pas la situation moins frustrante pour autant.

De la lumière brillait à l’étage, dans la bibliothèque. Bien entendu, Sazed s’y trouvait, occupé à traduire la dernière liasse de pages du journal. Il leva les yeux en voyant Vin entrer, sourit et hocha la tête d’un air respectueux.

Pas de lunettes non plus cette fois-ci, remarqua Vin. Pourquoi en a-t-il porté brièvement l’autre fois ?

— Maîtresse Vin, dit-il en se levant et en allant lui chercher un siège. Comment se passe votre lecture du journal ?

Vin baissa les yeux vers les pages reliées lâchement qu’elle tenait en main.

— Pas trop mal, je crois. Je ne comprends pas pourquoi je dois prendre la peine de les lire – vous en avez donné des copies à Kell et à Brise aussi, c’est bien ça ?

— Bien sûr, répondit Sazed, posant la chaise près de son pupitre. Cependant, Maître Kelsier a demandé que chaque membre de la bande lise ces pages. Ce en quoi je lui donne raison. Plus nombreux seront les yeux à lire ces pages, plus nous aurons de chances de découvrir les secrets qu’elles dissimulent.

Vin soupira légèrement, lissa sa robe et s’installa. La robe bleu et blanc était splendide – bien que destinée à un usage quotidien, elle n’était qu’à peine moins luxueuse que l’une de ses robes de bal.

— Vous devez reconnaître, Maîtresse, dit Sazed en s’asseyant, que ce texte est stupéfiant. Cet ouvrage est un rêve de Gardien. Je découvre des détails concernant ma culture dont j’ignorais même l’existence !

Vin hocha la tête.

— Je viens d’atteindre le passage où ils arrivent à Terris.

Avec un peu de chance, le prochain contiendra moins de listes de fournitures. Franchement, pour un dieu maléfique des ténèbres, il peut se montrer franchement assommant.

— Oui, oui, répondit Sazed avec un enthousiasme peu coutumier chez lui. Avez-vous vu ce qu’il disait, la façon dont il décrivait Terris comme une terre de « verte fertilité » ? Les légendes des Gardiens en parlent. Terris est désormais une toundra de terre gelée – quasiment aucune plante ne peut y survivre. Mais elle était autrefois verte et splendide, comme nous l’apprend ce texte.

Verte et splendide, songea Vin. Pourquoi le vert serait-il splendide ? Ce serait comme avoir des plantes bleues ou violettes – ce serait simplement bizarre.

Un détail, dans ce journal, suscitait toutefois sa curiosité – un détail sur lequel aussi bien Sazed que Kelsier avaient curieusement gardé le silence.

— Je viens de lire le passage où le Seigneur Maître prend des porteurs terrisiens, déclara prudemment Vin. Il raconte qu’ils sont plus forts le jour parce qu’ils se rendent plus faibles la nuit.

— Oui, en effet, répondit Sazed, soudain sur la réserve.

— Vous en savez plus sur le sujet ? Est-ce que c’est lié au statut de Gardien ?

— En effet, répondit Sazed. Mais ça doit rester secret, je crois. Pas que vous soyez indigne de confiance, Maîtresse Vin. Mais moins les gens seront informés au sujet des Gardiens, moins de rumeurs circuleront sur notre compte. Il serait préférable que le Seigneur Maître commence à croire qu’il nous a totalement détruits, comme il a cherché à le faire ces mille dernières années.

Vin haussa les épaules.

— D’accord. Avec un peu de chance, aucun des secrets que Kelsier ne veut qu’on découvre dans ce texte n’est lié aux pouvoirs des Terrisiens – s’ils le sont, je vais totalement passer à côté.

Sazed ne répondit pas.

— Enfin bref, reprit Vin d’une voix nonchalante, parcourant les pages qu’elle n’avait pas lues. On dirait qu’il passe pas mal de temps à parler des Terrisiens. Je crois que je ne pourrai pas fournir beaucoup d’idées à Kelsier quand il reviendra.

— Vous avez raison sur ce point, dit lentement Sazed. Même si vous l’exprimez de manière quelque peu mélodramatique.

Vin afficha un sourire impertinent.

— Très bien, dit Sazed en soupirant. Nous n’aurions pas dû vous laisser passer tout ce temps avec Maître Brise, je crois.

— Les hommes du journal, dit Vin. Ce sont des Gardiens ?

Sazed hocha la tête.

— Ceux que nous appelons les Gardiens de nos jours étaient beaucoup plus répandus à l’époque – peut-être encore plus que ne le sont les Brumants parmi les nobles. Notre art s’appelle « ferrochimie » et il confère la capacité d’emmagasiner certains attributs physiques à l’intérieur de morceaux de métal.

Vin fronça les sourcils.

— Vous aussi, vous brûlez des métaux ?

— Non, Maîtresse, répondit Sazed en secouant la tête. Les ferrochimistes ne sont pas comme les allomanciens – nous ne « brûlons » pas nos métaux. Nous nous en servons pour constituer des réserves. Chaque morceau de métal, en fonction de sa taille et de la nature de l’alliage, peut emmagasiner une certaine qualité physique. Les ferrochimistes sauvegardent un attribut, puis ils puisent dans cette réserve par la suite.

— Un attribut ? demanda Vin. Comme la force ?

Sazed hocha la tête.

— Dans le texte, les porteurs terrisiens se rendent plus faibles le soir et emmagasinent leur force dans leurs bracelets pour le lendemain.

Vin étudia le visage de Sazed.

— C’est pour ça que vous portez toutes ces boucles d’oreilles !

— Oui, Maîtresse, répondit-il, retroussant ses manches pour dévoiler, sous sa robe, les épais bracelets de fer qu’il portait autour des bras. Je cache une partie de mes réserves – mais porter de nombreuses bagues, boucles d’oreilles et autres bijoux a toujours fait partie de la culture terrisienne. Un jour, le Seigneur Maître a tenté d’imposer une loi visant à interdire aux Terrisiens de toucher ou de posséder quelque métal que ce soit – en fait, il a essayé de s’assurer que le port de métaux soit un privilège des nobles, plutôt que des skaa.

Vin fronça les sourcils.

— C’est curieux, dit-elle. On pourrait croire que les nobles refuseraient de porter des métaux, parce que ça les rend vulnérables à l’allomancie.

— En effet, répondit Sazed. Mais il y a longtemps que le fait de rehausser sa garde-robe à l’aide de métaux fait partie de la mode impériale. Tout a dû commencer, je suppose, lorsque le Seigneur Maître a voulu refuser aux Terrisiens le droit de toucher du métal. Il a lui-même commencé à porter des bagues et bracelets métalliques, et les nobles le suivent toujours en matière de mode. De nos jours, les plus fortunés portent souvent du métal comme symbole de puissance et d’orgueil.

— Je trouve ça idiot, répondit Vin.

— La mode l’est souvent, Maîtresse, répondit Sazed. Néanmoins, son plan a échoué – beaucoup de nobles ne portent que du bois peint de façon à lui donner un aspect métallique, et les Terrisiens sont parvenus à survivre au mécontentement du Seigneur Maître en ce domaine. C’était simplement beaucoup trop compliqué d’interdire aux intendants de manipuler du métal. Mais ça n’a toutefois pas empêché le Seigneur Maître de continuer à essayer d’exterminer les Gardiens.

— Il a peur de vous.

— Et il nous déteste. Pas simplement les ferrochimistes, mais tous les Terrisiens. (Sazed posa la main sur la partie encore non traduite du texte.) J’espère découvrir là aussi un secret. Personne ne se rappelle pourquoi le Seigneur Maître persécute les Terrisiens, mais je suppose qu’il existe un lien avec ces porteurs – leur chef, Rashek, semblait être un homme très contrariant. Le Seigneur Maître le mentionne souvent au cours du récit.

— Il a parlé de religion, dit Vin. De la religion terrisienne. Une histoire de prophéties ?

Sazed secoua la tête.

— Je ne peux répondre à cette question, Maîtresse, car je n’en sais pas davantage que vous sur le sujet de la religion terrisienne.

— Mais vous collectionnez les religions, dit Vin. Vous ne connaissez pas la vôtre ?

— Non, en effet, répondit gravement Sazed. Voyez-vous, Maîtresse, c’est pour cette raison que les Gardiens ont été formés. Il y a des siècles, mon peuple a caché les derniers ferrochimistes terrisiens. La purge du peuple terrisien entreprise par le Seigneur Maître devenait violente – c’était avant le début du programme de reproduction. À l’époque, nous n’étions ni intendants ni serviteurs – nous n’étions même pas des skaa. Nous étions une espèce qu’il fallait détruire.

» Et pourtant, quelque chose a empêché le Seigneur Maître de nous éradiquer totalement. J’ignore pourquoi – il estimait peut-être que le génocide était un châtiment trop clément. Quoi qu’il en soit, il est parvenu à détruire notre religion lors des deux premiers siècles de son règne. L’organisation des Gardiens a été créée lors du siècle suivant, et ses membres étaient bien décidés à découvrir ce qui avait été perdu, puis à s’en souvenir pour l’avenir.

— Grâce à la ferrochimie ?

Sazed hocha la tête, frottant du bout des doigts le bracelet qu’il portait au bras droit.

— Celui-ci est fait de cuivre ; il permet d’emmagasiner les souvenirs et les pensées. Chaque Gardien porte plusieurs bracelets comme celui-ci, rempli de connaissances – chansons, récits, prières, histoires et langues. De nombreux Gardiens s’intéressent à un domaine en particulier – la religion, pour moi –, mais nous nous rappelons tous l’intégralité des données. Si un seul d’entre nous survit jusqu’à la mort du Seigneur Maître, alors les peuples du monde pourront récupérer tout ce qu’ils ont perdu.

Il s’interrompit, puis rabaissa sa manche.

— Enfin, pas tout ce qui a été perdu. Il nous manque toujours certains éléments.

— Votre propre religion, dit doucement Vin. Vous ne l’avez jamais retrouvée, c’est ça ?

Sazed fit signe que non.

— Le Seigneur Maître sous-entend dans ce journal que ce sont nos prophètes qui l’ont conduit au Puits de l’Ascension, mais même cette information est nouvelle pour nous. Quelles étaient nos croyances ? Qu’est-ce que nous adorions, ou qui ? D’où venaient ces prophètes terrisiens, et comment prédisaient-ils l’avenir ?

— Je suis… désolée.

— Nous continuons à chercher, Maîtresse. Nous finirons par trouver nos réponses, je crois. Et même dans le cas contraire, nous aurons quand même rendu un service inestimable à l’humanité. Les autres peuples nous qualifient de dociles et serviles, mais nous le combattons, à notre façon.

Vin hocha la tête.

— Et qu’est-ce que vous pouvez emmagasiner d’autre ? La force et les souvenirs. Et ensuite ?

Sazed la regarda.

— Je vous en ai déjà trop dit, je crois. Vous comprenez les mécanismes de notre fonctionnement – si le Seigneur Maître en parle dans son texte, vous ne serez pas perdue.

— La vue, dit Vin, s’animant soudain. C’est pour ça que vous avez porté des lunettes quelques semaines après m’avoir secourue. Vous aviez besoin de mieux y voir la nuit où vous m’avez sauvée, alors vous avez puisé dans vos réserves. Ensuite, vous avez passé plusieurs semaines avec une vision affaiblie afin de pouvoir les reconstituer.

Sazed ne répondit pas à ce commentaire. Il reprit son stylo, visiblement décidé à poursuivre sa traduction.

— Y avait-il autre chose, Maîtresse ?

— Oui, en fait, répondit Vin, tirant le mouchoir de sa manche. Vous avez la moindre idée de ce que ça peut être ?

— Il semblerait que ce soit un mouchoir, Maîtresse.

Vin haussa un sourcil ironique.

— Très drôle. Vous fréquentez Kelsier depuis beaucoup trop longtemps, Sazed.

— Je sais, répondit-il en soupirant. Il m’a corrompu, je crois. Néanmoins, je ne comprends pas votre question. Qu’est-ce que ce mouchoir a de si particulier ?

— C’est ce que je veux savoir, moi, répondit Vin. Spectre me l’a donné tout à l’heure.

— Alors je comprends mieux.

— Quoi donc ? demanda Vin.

— Dans la haute société, Maîtresse, un mouchoir est le cadeau traditionnel qu’offre un jeune homme à une dame qu’il souhaite courtiser sérieusement.

Vin regarda fixement le mouchoir, abasourdie.

— Quoi ? Ce garçon est dingue ou quoi ?

— La plupart des jeunes hommes de son âge le sont plus ou moins, je crois, répondit un Sazed souriant. Mais ce n’est pas une grande surprise. N’avez-vous jamais remarqué la façon dont il vous fixe quand vous entrez dans la pièce ?

— Je trouvais simplement qu’il me donnait la chair de poule. Mais qu’est-ce qui lui prend ? Il est nettement plus jeune que moi.

— Ce garçon a quinze ans, Maîtresse. Vous n’êtes son aînée que d’un an.

— Deux, répondit Vin. J’ai eu dix-sept ans la semaine dernière.

— Mais tout de même, il n’est pas tellement plus jeune que vous.

Vin leva les yeux au ciel.

— Je n’ai pas de temps à lui consacrer.

— On pourrait s’attendre, Maîtresse, à vous voir apprécier les occasions qui se présentent à vous. Tout le monde n’a pas cette chance.

Vin se figea. C’est un eunuque, crétine.

— Sazed, je suis désolée, je…

Sazed agita la main.

— C’est quelque chose que je n’ai pas connu assez pour en regretter l’absence, Maîtresse. J’ai peut-être de la chance – une vie passée dans la clandestinité ne facilite pas les choses pour fonder une famille. Ce pauvre Maître Hammond, par exemple, n’a pas vu son épouse depuis des mois.

— Ham est marié ?

— Bien sûr, répondit Sazed. Ainsi que Maître Yeden, me semble-t-il. Ils protègent leur famille en la tenant à l’écart des activités de la clandestinité, mais ça nécessite de longues périodes de séparation.

— Et qui d’autre ? demanda Vin. Brise ? Dockson ?

— Maître Brise est un peu trop… centré sur ses propres intérêts pour avoir une famille. Maître Dockson n’a jamais fait mention de sa vie sentimentale, mais je crois qu’il y a quelque chose de douloureux dans son passé. Ce n’est pas rare chez les skaa des plantations, comme on peut s’y attendre.

— Dockson vient d’une plantation ? demanda Vin, surprise.

— Bien entendu. Vous ne passez jamais de temps à discuter avec vos amis, Maîtresse Vin ?

Mes amis. J’ai des amis. C’était une étrange constatation.

— Quoi qu’il en soit, reprit Sazed, je ferais mieux de me remettre au travail. Je suis désolé de vous chasser ainsi, mais j’ai quasiment terminé ma traduction…

— Bien sûr, répondit Vin en se levant et en lissant sa robe. Merci.

 

Elle trouva Dockson assis dans un bureau, en train d’écrire en silence sur un bout de papier, avec une pile de documents soigneusement disposée sur le bureau. Il portait un costume de noble ordinaire et paraissait toujours plus à l’aise que les autres dans cette tenue. Kelsier avait fière allure, Brise était impeccable et imposant, mais quant à Dockson… il paraissait porter cette tenue le plus naturellement du monde.

Il leva les yeux lorsqu’elle entra.

— Vin ? Je suis désolé – j’aurais dû t’envoyer chercher. Je croyais que tu étais sortie.

— Je le suis souvent ces jours-ci, répondit-elle en fermant la porte derrière elle. Je suis restée ici aujourd’hui ; écouter les femmes de la noblesse jacasser pendant leur déjeuner, ça peut être un peu agaçant.

— J’imagine, répondit Dockson, souriant. Assieds-toi.

Vin hocha la tête et entra dans la pièce. Elle était tranquille, décorée de couleurs chaudes et de boiseries. Il faisait encore relativement clair dehors, mais Dockson avait déjà tiré les rideaux et travaillait à la lueur des bougies.

— Vous avez des nouvelles de Kelsier ? demanda Vin en s’asseyant.

— Non, répondit Dockson en abandonnant son document. Mais ça n’a rien d’inattendu. Comme il ne comptait pas rester longtemps aux grottes, il aurait été un peu idiot d’envoyer un messager – en tant qu’allomancien, il serait peut-être même en mesure de revenir avant un cavalier. Quoi qu’il en soit, je suppose qu’il aura quelques jours de retard. Après tout, on parle de Kell.

Vin hocha la tête, puis garda un moment le silence. Elle n’avait pas passé autant de temps avec Dockson qu’avec Kelsier et Sazed – ni même Ham et Brise. Cependant, il paraissait être quelqu’un de gentil. Très stable, et très intelligent. Alors que la plupart des autres apportaient à la bande une forme ou une autre de pouvoir allomantique, Dockson était précieux de par son simple talent d’organisation.

Quand il fallait acheter quelque chose – par exemple les robes de Vin – Dockson s’assurait que ce soit fait. Quand il fallait louer un bâtiment, se procurer des fournitures ou obtenir un permis, Dockson s’arrangeait pour que ça se produise. Il n’était jamais en première ligne pour escroquer des nobles, se battre dans les brumes ou recruter des soldats. Mais sans lui, Vin soupçonnait que la bande tout entière s’effondrerait.

Il est gentil, se dit-elle. Il ne va pas se formaliser si je lui pose la question.

— Dox, c’était comment de vivre dans une plantation ?

— Hmm ? La plantation ?

Vin hocha la tête.

— Vous avez bien grandi là-bas ? Vous êtes un skaa des plantations ?

— Oui, répondit Dockson. Ou du moins, je l’étais. Comment c’était ? Je ne sais pas trop quoi te répondre, Vin. C’était une vie pénible, mais comme la vie de la plupart des skaa. Je ne pouvais pas quitter la plantation ni même sortir de la communauté de masures – sans permission. On mangeait plus régulièrement que beaucoup de skaa des rues, mais on nous faisait travailler aussi dur que n’importe quel ouvrier des filatures. Peut-être encore plus.

» Les plantations sont différentes des villes. Ici, chaque lord est son propre maître. Techniquement, le Seigneur Maître possède les skaa, mais les nobles les louent, et sont autorisés à en tuer autant qu’ils veulent. Chaque lord a simplement une obligation de rendement au niveau de ses récoltes.

— Vous en parlez avec… un tel détachement, remarqua Vin.

Dockson haussa les épaules.

— Ça remonte à longtemps, Vin. Je n’ai jamais ressenti ma vie à la plantation comme un grand traumatisme. C’était la vie, tout simplement – on ne connaissait rien de mieux. En fait, je sais maintenant que, parmi les lords des plantations, le mien était plutôt clément.

— Alors pourquoi vous êtes parti ?

Dockson hésita.

— Un événement, répondit-il d’une voix presque mélancolique. Tu sais que la loi autorise un lord à coucher avec n’importe quelle femme skaa s’il le désire ?

Vin hocha la tête.

— Il doit simplement la tuer quand il en a fini.

— Ou peu de temps après, répondit Dockson. Assez vite pour qu’elle ne puisse pas donner naissance à des enfants bâtards.

— Alors ce lord vous a pris une femme que vous aimiez.

Dockson hocha la tête.

— Je n’en parle pas beaucoup. Pas parce que je ne peux pas, mais parce que j’estime que ça ne servirait à rien. Je ne suis pas le seul skaa qui ait perdu quelqu’un qu’il aimait à cause des passions d’un lord, ni même de son indifférence. En fait, je crois que tu auras du mal à trouver un skaa qui n’ait pas vu quelqu’un qu’il aimait massacré par l’aristocratie. C’est simplement que… les choses sont comme ça.

— Qui était-ce ? demanda Vin.

— Une fille de la plantation. Comme je te le disais, mon histoire n’a rien d’original. Je me rappelle… m’être faufilé entre les masures la nuit pour passer du temps avec elle. Toute la communauté jouait le jeu et nous cachait aux contremaîtres – je n’étais pas censé sortir après la tombée du jour, tu comprends. La première fois que j’ai affronté les brumes, c’était pour elle, et même si pas mal de gens me trouvaient stupide de sortir la nuit, d’autres avaient surmonté leur superstition et m’encourageaient. Je crois que cette romance les inspirait : Kareien et moi, on rappelait à tout le monde qu’il existait des raisons de vivre.

» Quand lord Devinshae a pris Kareien – et rendu son corps le lendemain matin pour qu’on l’enterre –, quelque chose est… mort dans les masures des skaa. Je suis parti le lendemain soir. Je ne savais pas qu’il existait une vie meilleure mais je ne pouvais pas rester, pas alors que la famille de Kareien était là, pas alors que lord Devinshae nous regardait travailler…

Dockson soupira, secouant la tête. Vin lut enfin une certaine émotion sur ses traits.

— Tu sais, dit-il, je suis parfois stupéfait qu’on prenne même la peine d’essayer. Avec tout ce qu’ils nous ont fait – les morts, les tortures, les souffrances –, on pourrait s’attendre à ce qu’on abandonne simplement des choses comme l’espoir et l’amour. Mais non. Les skaa continuent de tomber amoureux. Ils essaient toujours de fonder des familles, et ils se battent toujours. Je veux dire, regarde-nous… En train de mener la petite guerre insensée de Kell, de résister à un dieu dont nous savons qu’il finira par tous nous massacrer.

Vin resta un moment silencieuse, cherchant à appréhender l’horreur de ce qu’il décrivait.

— Je… croyais que vous disiez que votre lord était plutôt clément.

— Oh oui, répondit Dockson. Lord Devinshae battait rarement ses skaa à mort et il n’éliminait les plus âgés que lorsque la population devenait vraiment incontrôlable. Il avait une réputation impeccable parmi les nobles. Tu l’auras sans doute croisé à l’un des bals – il est à Luthadel depuis quelque temps, pendant l’hiver, entre deux saisons de plantations.

Un grand froid envahit Vin.

— Dockson, c’est horrible ! Comment est-ce qu’ils tolèrent un monstre pareil parmi eux ?

Dockson fronça les sourcils, puis se pencha légèrement vers elle, reposant les bras sur le bureau.

— Vin, ils sont tous comme ça.

— Je sais que c’est ce que disent certains skaa, Dox, répondit Vin. Mais ceux que je croise au bal ne sont pas comme ça. Je les ai rencontrés, j’ai dansé avec eux. Dox, beaucoup d’entre eux sont des gens bien. Je crois qu’ils ne savent pas à quel point la situation est terrible pour les skaa.

Dockson l’étudia avec une étrange expression.

— J’ai bien entendu ce que tu viens de me dire, Vin ? Pourquoi est-ce que tu crois qu’on se bat contre eux ? Est-ce que tu as conscience de ce dont ces gens sont capables – tous autant qu’ils sont ?

— De cruauté, peut-être, répondit Vin. Et d’indifférence. Mais ce ne sont pas des monstres, pas tous – pas comme le lord de votre ancienne plantation.

Dockson secoua la tête.

— C’est simplement que tu n’y vois pas assez clair, Vin. Un noble peut violer et massacrer une femme skaa une nuit, puis être loué pour ses mérites et sa moralité le lendemain. Pour eux, les skaa ne sont pas des gens. Quand un lord couche avec une femme skaa, son épouse ne considère même pas ça comme un adultère.

— Je…

Vin laissa sa phrase en suspens, de plus en plus hésitante. C’était un aspect de la culture des nobles qu’elle n’avait pas voulu affronter. Les coups, elle devait pouvoir les pardonner, mais ça…

Dockson secoua la tête.

— Tu es en train de les laisser te duper, Vin. Ces choses-là sont moins visibles dans les villes à cause des bordels, mais des meurtres ont quand même lieu. Certains bordels utilisent des femmes de naissance très pauvre – mais noble. Mais la plupart se contentent d’éliminer périodiquement leurs prostituées skaa pour apaiser les Inquisiteurs.

Vin se sentit quelque peu faible.

— Je… suis au courant pour les bordels, Dox. Mon frère menaçait toujours de m’y vendre. Mais ce n’est pas parce qu’ils existent que tous les hommes s’y rendent. Il y a de nombreux travailleurs qui ne fréquentent pas les bordels skaa.

— Les nobles sont différents, Vin, répondit Dockson d’une voix sévère. Ce sont d’horribles créatures. Pourquoi crois-tu que je ne me plaigne pas quand Kelsier les tue ? Pourquoi crois-tu que je collabore avec lui pour renverser leur gouvernement ? Tu devrais demander à ces jolis garçons avec qui tu danses combien de fois ils ont couché avec une femme skaa dont ils savaient qu’elle serait tuée peu de temps après. Ils l’ont tous fait, à un moment ou un autre.

Vin baissa les yeux.

— On ne peut pas les racheter, Vin, dit Dockson. (Il ne paraissait pas aussi passionné que Kelsier sur le sujet, simplement… résigné.) Je crois que Kelsier ne sera satisfait que quand ils seront tous morts. Je doute que nous devions aller aussi loin – et même que nous en soyons capables – mais, à titre personnel, je serais plus que ravi de voir toute leur société s’effondrer.

Vin ne répondit rien. Ils ne peuvent pas tous être comme ça songea-t-elle. Ils sont si beaux, si distingués. Elend n’a jamais pris et massacré de femmes skaa… n’est-ce pas ?

L'empire ultime
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